Marie-Thérèse

Picasso 8
Photo by Sophie Ausilio, « Nu au fauteuil noir », Picasso 1932.

Marie-Thérèse

Paris, 26 décembre 2017, je marche tranquillement de la bouche du métro jusqu’à l’Hôtel Salé. Le temps se veut clément.

Il est tard dans la matinée, Paris est vide de ses passants.

Pour une fois, pas de queue, je rentre sans encombre au musée armée de mon billet. «Picasso 1932, année érotique», de salle en salle les mois défilent et avec eux la vie du Maître mais je ne vois qu’elle : Marie-Thérèse.

Je la devine.

La figure comme une pomme, le cheveu fin et long. Les lèvres rondes et petites, elle les souligne d’un rouge vif.

Le corps sain, pur, resplendit l’été. Quand il l’emmène à la mer, elle nage telle une naïade dans un paysage de sable, d’eau et d’azur.

L’hiver, pour avoir chaud elle se pare souvent de sa robe en laine aux motifs géométriques et aux couleurs primaires.

Mais dès qu’il arrive, et qu’il l’exige, elle se dévêt pour lui. Elle est rondeurs. Elle est douceur. Elle se donne, alanguie.

Elle est tantôt statue, tantôt venus, elle est pastel. Elle est sa prisonnière. Il la peint et son sexe se tend. Il la peint et il la prend.

Quand il s’en va, elle lit et elle l’attend, elle l’attend toute sa vie.

Paris, janvier 1927.

Picasso la voit pour la première fois à la sortie d’un métro. Elle a 17 ans. La blondeur juvénile, l’arrondi du visage. Elle est, à elle seule, l’enfance et la volupté. Elle est celle qui ne sait pas encore ce qu’elle a provoqué.

Lui la regarde, il pense à la couleur, il la dessine déjà. Les cheveux comme une vague, le corps mauve et rond. Il la caresse par avance dans sa tête. Ses mains carrées, épaisses, tressaillent déjà à l’idée des pressions sur son corps encore plein et moelleux. Il est comme un prédateur qui observe sa proie.

« Bonjour Mademoiselle, vous avez un visage intéressant. Je suis Pablo Picasso et je voudrais faire votre portrait. »

La voix puissante a l’accent des étrangers, l’homme dégage un certain magnétisme.

« Comment vous appelez-vous ?

__ Marie-Thérèse. »

La jeune femme n’a pas baissé les yeux en disant son prénom.
L’intensité de leur regard, là. Elle l’a compris. Elle est déjà à lui.

Marie-Thérèse, durant les neuf ans que durera leur liaison (1927-1936), acceptera de vivre cachée, soumise au désir de son amant. Quatre ans après la mort de Picasso en 1977, elle se pendra chez elle, perclue de solitude et terrassée par la mort de son unique amour.

A chacun son idée du bonheur.

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32 Comments

  1. Oh merveille ! Texte et tableaux s’harmonisent superbement. Le regard est porté par le texte et chaque peinture ouvre une nouvelle lecture. C’est beau. Merci Sophie !
    Je ne sais pas si tu connais la BD « Pablo » de Julie Birmant et Clément Oubrerie qui retrace les débuts de Picasso vers 1900 et sa rencontre avec « la belle Fernande ». Ton interprétation sur Marie-Thérèse m’y a fait pensé…

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  2. Merci Sophie de nous conter, avec toute cette sensibilité qui caractérise tes textes, la vie de cet artiste, des aspects de lui qui nous montre un aspect humain, pas juste un nom. J’avoue que je ne connaissais pas cet épisode de sa vie, je n’y connais pas grand chose en art. Bises.

    Aimé par 1 personne

    1. Merci Laurence, j’aime les artistes et j’aime percevoir le poids de leur vie sur leurs œuvres. Ton commentaire m’encourage, j’écrirai peut-être d’autres petits textes sur les artistes que j’aime. Merci beaucoup

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