Léon et le ballon

BALL

18 septembre 1870 : les Prussiens assiègent Paris. La ville est encerclée. La nourriture manque. Les bombardements prussiens sont terribles. Les trains ne circulant plus, deux ateliers de construction de ballons sont installés dans les gares de chemin de fer. Les ballons serviront à emmener du courrier et des pigeons voyageurs vers la Province. Les volatiles reviendront dans Paris encerclé, rapporter des nouvelles de l’extérieur.

25 septembre 1870 : septième jour du siège, à 11h du matin, le premier ballon porté des postes part boulevard d’Italie, au champ de la Glacière. C’est « le Florence », un ballon exposé auparavant dans les fêtes populaires parisiennes.
Ce fait historique m’a inspiré ce texte.

Léon et le ballon

« T’es sûr que tu veux y aller, Elé ? T’es ben fatiguée. T’as la figure toute blanche. Y’a que quinze jours que tu as accouché.

__ Oui, Désirée, j’y vais pour mon petit Léon. Il a tellement peur des Prussiens… Moi aussi d’ailleurs, j’en fais des cauchemars. Alors voir un beau ballon s’envoler pour nous ramener du secours va ravir sa tête d’enfant. N’est-ce pas mon Léon ? »

Eléonore penchée tendrement vers son fils, remonta légèrement sa casquette, trop grande, qui tombait sur ses beaux yeux noisette.

« J’espère au moins que l’Antoine te fiche la paix. Je peux te dire que mon Pierre, tout bon mari qu’il est, avait pas intérêt à m’approcher après que j’ai eu mes gamins.

__ Non, il m’embête pas, au contraire, il me prend contre lui et il me caresse les cheveux. On est tous épuisés, heureusement on peut pas nous prendre la chaleur humaine. »

La pluie était tombée pendant la nuit et la petite allée informelle qui courait entre les deux bandes du potager laissa des traces boueuses sur leur jupon quand elles la traversèrent. Désirée, attrapa Léon et autoritaire le porta à ses bras car il fallait se presser.

« Un jour, faudra que tu viennes à l’atelier, dit Désirée. C’est drôle de voir la gare remplie de ses gros ballons de tissus tout mous. Des fois, je couds les bandes de percaline. Des fois on utilise mes talents de vannière pour les nacelles. Et quand on a fini un globe, les ouvriers le gonflent d’air mais ils le laissent couché sur le flanc. C’est pour que le vernis sèche plus vite. On se croirait au spectacle ! Tu pourrais peut-être y travailler ? Le patron m’aime bien, tu sais ! Ses parent sont nés à Brou alors je lui rappelle un peu le pays. En même temps s’ils continuent à recruter à l’atelier, c’est mauvais signe. C’est que ces salauds de prussiens vont continuer à nous encercler. On va finir par plus rien avoir à bouffer, va nous rester que les rats de la zone ».

Désirée tapa un grand coup sur le sol.

« Salauds de prussiens, je leur cracherais bien à la gueule ».

« Oui et bien en attendant, on se dépêche si on veut être au premier rang, répondit Eléonore ».

Les deux sœurs se mirent à rire et d’un élan commun, elles coururent presque en remontant la rue. L’aînée, malgré ses quarante-six, était une force de la nature et ses bras puissants d’ouvrière emprisonnaient Léon qui se croyant sur un percheron criait de sa voix d’enfant :
« Hue mon dada, hue ! »

Arrivées au bout de la rue du château des rentiers, elles prirent par le vieux chemin d’Ivry qui était pavé en partie pour remonter le boulevard sur la gauche et atteindre le champ de la glacière. Léon, toujours accroché aux bras de sa tante s’était calmé, apeuré par le bruit sourd des canons qui tonnaient au loin.

La foule était déjà amassée pour voir s’envoler « le Florence ». Un tel évènement avait fait venir le tout Paris. Grisettes et bourgeoises se côtoyaient dans la plaine. Les deux sœurs jouèrent des coudes et se placèrent dans les premiers rangs. Désirée, une fois installée, monta Léon sur ses épaules et se retourna pour répondre vertement à un monsieur en haut de forme à qui elle bouchait la vue.

« Payez vous un porteur si vous z’êtes pas content, non mais ! »

Au milieu du champ, le globe de tissu gisait comme une loque de chiffons mais la nacelle presque aussi haute qu’Eléonore était déjà parsemée de sacs postaux, sacs de lest et de trois cages de pigeons voyageurs. De la foule s’éleva un brouhaha d’excitation. Eugène Godart pris la parole et salua l’aéronaute Mangin et son passager M Lutz. L’homme très corpulent, arborait un costume de parade militaire. L’équipe technique d’aéronautes commença à gonfler le ballon au gaz d’éclairage lorsqu’ils constatèrent toute une série de petits trous, près de la soupape, à l’intérieur desquels l’on pouvait passer le petit doigt. Un murmure d’inquiétude s’envola des spectateurs. On fit venir une couturière. Armée d’une bonne aiguille, consciencieuse, elle répara les avanies. Puis arriva un homme qui prit le relai. Armé d’un pot de colle et d’un pinceau, il appliqua à son tour, des bandelettes de papier sur toutes les petites cavités.

Chacun y allait de son commentaire :
« C’est une folie, partir dans les airs dans un ballon percé, dit une jolie brune, l’hystérie de sa voix faisant valser sa voilette.

__ Mais, ma chère, nous sommes en guerre. Croyez-vous que nous ayons le choix ! Répondit son voisin, altier, la main posée sur le pommeau ouvragé de sa canne.

__ Et si les trous se ré ouvrent en l’air, ils’auront pas assez de leurs dix doigts pour boucher la toile ?!? Dit encore une petite ouvrière, boulotte, la poitrine enserrée débordant de sa chemise.

__ T’as qu’à leur donner ton corsage, l’est assez grand pour remplacer le ballon ! Répliqua un nigaud, vêtu d’un paletot marron. »

La riposte, grivoise, détendit l’atmosphère.

Pendant ce temps, on donna aux sieurs Lutz et Mangin un paquet de lettres importantes à bruler ou à avaler en cas de danger. Réparé, le ballon fut gonflé et couvert d’huile puis on attacha la nacelle. Eléonore se demanda comment l’aérostat allait pouvoir s’envoler car en plus des trois énormes ballots emplis de courrier, M Lutz occupait à lui seul une bonne partie du panier.

L’instant fatidique se rapprocha. La foule retint son souffle. Puis on lâcha les cordes. Sous les hourras de joie, la nacelle décolla. Les têtes levées vers le ciel, certains firent tournoyer leur mouchoir dans un dernier au revoir. En réponse, les deux passagers agitèrent, à leur tour, leur chapeau.

Le ballon s’éloigna dans le ciel parisien et Léon, émerveillé, en resta bouche bée…

 

Un grand merci à ma sœur Véronique sans qui ce texte n’existerait pas.

 

 

33 Comments

      1. Moi aussi j’adore ! J’ai plein de photos du 13eme arrondissement du 19eme siècle. Si un jour tu veux en voir, envoie moi un message en contact pour me dire vers quelle rue tu habites et je regarderai si j’ai une photo du coin. Bonne soirée à toi.

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  1. Bonjour et MERCI…

    C’est tellement plus vivant la manière dont Vous racontez des faits historiques….

    Et cerise sur le gâteau, il y a une phrase que j’ai copié tellement elle est belle et simple de vérité : »On est tous épuisés, heureusement on peut pas nous prendre la chaleur humaine. »

    … Et tant que nous aurons conscience de cela, quelque soit les aléas de la vie, nous pourrons, si nous le désirons, nous comporter en êtres humains et aimants… Rien ne pourra nous enlever notre humanité… si nous le désirons…. Et ça, c’est une bonne nouvelle…

    Bises journée…

    Mister Philou

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  2. Une façon fort intelligente de se servir d’un fait historique pour écrire une petite nouvelle. Au fur et à mesure qu’on lit ce texte, on plonge dans l’ambiance et on s’imagine aisément les personnage voulant prendre le ballon bien que Paris soit assiégé. Une façon de donner vie à un fait historique

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