Vincent et Théo

la montée d'escalier
« La montée d’escalier », photo by Sophie Ausilio, Auvers-sur-Oise, août 2018

Vincent et Théo

Le temps se veut chagrin aujourd’hui. Mais malgré la noirceur des nuages, la lumière se libère et vient caresser la luxuriance de mon jardin. Les verts se magnifient sous l’orage à venir et la mélancolie s’invite. Je pense à mon enfance, à ce tableau qui a bercé mes nuits et cueilli mes réveils et dont j’ignorais alors qui en était l’auteur.

Une simple affiche dans un cadre mordoré, acquise par ma grand-mère avec sa planche de timbres fidélités dans le petit supermarché du coin.

De mon lit, chauffé par l’édredon de plume, mes yeux, alors, se noyaient dans la palette du peintre, dans le ciel tourmenté illuminant un champ de blé. Ambiance d’orage, de tourment, de vent qui embrase les cheveux, de souffle qui refroidit vos joues. Un tableau de Van Gogh qui vous remue le cœur et qui marqua le début de mon amour immodéré pour le peintre hollandais.

Vincent. Auvers-sur-Oise. Cet été j’y étais.

Je pense à ce jour, début août, où mes pas m’ont conduit vers ta dernière demeure. Je ressens encore l’émotion à pénétrer dans l’Auberge Ravoux, à ce moment où nous montons dans ta chambre. Les murs sont sombres, la rampe qui mène à la soupente glisse sous mes doigts. J’aperçois sur la palier deux ouvertures par lesquelles la lumière, comme aujourd’hui, fait percer ses rayons dans l’atmosphère grise. Le guide nous fait rentrer. Emotions de l’instant. La pièce est vide mais les murs sont encore marqués des petits clous sur lesquels tu accrochais tes tableaux. J’y passe ma main pour sentir ta présence dans cette pièce minuscule que personne n’a jamais reloué. On ne redonne jamais la chambre d’un suicidé. On nous presse, les visiteurs suivants attendent, je n’ai pas le temps de m’attarder.

Alors, je prends la clé des champs. Tout ici semble figer dans le passé. La campagne est intacte, les maisons n’ont pas changé. Accompagnée de mon ami, nous montons vers l’église. La pluie se met légèrement à tomber et nous t’imaginons à nos côtés, portant tes peintures et ton chevalet pour aller jusqu’aux champs, et travailler avec fougue l’explosion des couleurs.

La réalité nous rattrape. La petite pancarte que nous croisons indique « tombe de Vincent et Théo ». Alors nous montons lentement cette route à travers la végétation abondante, les cheveux trempés de pluie, comme si nous suivions nous aussi le convoi funeste jusqu’à dernière demeure. Le chagrin de Théo nous accompagne et la tristesse de tes amis aussi, celle du Docteur Gachet, de quelques villageois et d’une poignée d’artistes.

Nous poussons la grille, ça va bientôt fermer. Tu te trouves tout au fond sous un lit de lierre, Théo à tes côtés dans un lien fraternel. Je t’imagine apaisé. Et je te remercie pour ta peinture si belle, si vivante qui éblouit ma vie.

49 Comments

  1. Il faut aussi voir, si possible, la maison de santé de St Paul, près de St Rémy de Provence… Vincent y a peint quelques beaux instants, remis en état par une amie, il y a longtemps: Le champ de blé, les glycines. L’âme du peintre est là aussi, un peu.

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  2. Merci pour ce partage d’un moment de résurrection et de rencontre intense qui, comme chez toi, est toujours rendu avec une ravissante maîtrise, un art éblouissant et savoureux. Quel meilleur hommage à un artiste immortel que d’évoquer avec art l’instant magique de sa résurrection. Mais le cortège n’était-il pas plus funèbre que funeste ? J’ose l’espérer…

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    1. Funeste car Théo son frère ne s’en est jamais remis, et la suivit 10 mois après dans la mort. Mais j’aurais pu écrire funèbre aussi, c’est vrai. Merci beaucoup de prendre le temps de me lire et pour ce message qui me touche. Bonne soirée à toi.

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  3. C’est un magnifique et émouvant qui rend un bel hommage à ce grand artiste que fut Van Gogh. Merci Sophie ! J’aimerais beaucoup visiter l’endroit où il a vécu à Auvers sur Oise, moi aussi. De mon côté, j’ai découvert le cloître St Paul de Mausole et je suis sûre que tu aimeras cet endroit où l’on sent la présence de l’artiste. C’est un grand moment d’émotion quand on franchit le seuil de la chambre qu’il a occupée.

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  4. J’aime bien Auvers. Nous avons des amis à Taverny qui nous y ont emmenés une fois. Nous avions aussi une maison dans le Vexin, pas loin. Un petit village tout simple, comme il en y en a des milliers par là. Des coquelicots qui survivent au bord du champs de blé, à côté du cimetière. Et les tombes de ces deux frères que rien n’a jamais pu séparer. Très émouvant. Merci pour ce souvenir.

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  5. Dès que j’en eu les moyens pécuniaires mon premier périple en chemin reconstituant celui d’un artiste fut naturellement consacré Vincent…c’était dans les années 60, pour l’achever début des années 80, depuis la Hollande, par la Belgique, Paris, Arles et St-Rémy et enfin Auvers…C’est impossible à dire, c’est totalement à vivre..
    Un motif de m’abonner.
    Merci.
    N-L

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  6. Un joli post. Auvers est émouvant.
    Surtout les deux tombes parfaitement entretenues, les deux frères réunis pour toujours dans un vieux cimetière d’Ile de France.
    Et au-delà du mur, il y a des coquelicots et des champs et la même lumière qu’il avait su si bien attraper… 🙂

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      1. « Vous »? Hmmm. Tu me paraît mieux, chère Sophie. 🙂
        Tt-à-fait d’accord. Et en même temps, ce petit village ressemble à n’importe quel autre village de la région… (Nous avions dans le temps une – vieille – maison dans le Vexin Normand, près de Gisors. Tous ces villages se ressemblent. Ce qui ne les rend que plus émouvants. Bonne semaine.
        Brieuc

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